Applications
La biologie de synthèse constitue un catalogue d'idées, de concepts et de méthodes de plus en plus détaillé, renforçant nos connaissances du vivant.
Les scientifiques partent du principe que, ce qui peut être produit par un organisme peut alors être produit par un autre, à condition de lui fournir la voie de synthèse de l'élément en question. Il s'agit en quelque sorte de découvrir, et surtout, de réussir à déchiffrer l'intégralité du mode d'emploi de l'organisme, pour réussir à le transférer de manière fonctionnelle dans un autre.
La cellule minimale, qui vous a été détaillée précédemment, n’est encore impliquée dans aucune de ces applications. En effet, pour l'instant ce qui se rapproche le plus d'une cellule minimale « pousse très mal », c'est à dire qu'elle a une croissance très lente et donc un faible rendement, et il faudra attendre une trentaine d'années avant de voir une application industrielle apparaître. En effet, c'est une technique trop récente, qui demande encore de nombreuses améliorations. Elle reste cependant une étape vers une cellule entièrement synthétique. Elle représente également un véritable enjeu pour l'avenir car, s'il est possible de créer une cellule entièrement synthétique et contenant le minimum essentiel à son fonctionnement, on peut espérer l'utiliser et lui faire produire n'importe quelle molécule d’intérêt. Elle serait alors comme une brique, sur laquelle on pourrait ensuite fixer n'importe quel module, n'importe quelle pièce. De plus, comme cette cellule serait minimale, elle serait beaucoup plus productive qu'une cellule normale qui en plus de produire des molécules d’intérêts, procède à de nombreuses réactions métaboliques.
De plus, les scientifiques sont confrontés à plusieurs difficultés lors de leurs recherches. D’une part, ils font face à un manque de connaissances face à la structure complexe de certains organismes. D’autre part, lors de telles avancées, les chercheurs sont soumis à une réglementation stricte et à des problèmes éthiques. Ce qui aboutit à de longues années de travail, mobilisant plusieurs équipes de chercheurs, dans différents domaines et d’importants soutiens financiers.
Par exemple, certaines équipes travaillent sur la création de biosenseurs ( ). Or, tous les êtres vivants possèdent le même code génétique, ainsi les biosenseurs présentent un risque pour l’homme s’ils sont amenés à muter. Ils peuvent alors devenir nocifs pour notre organisme, pouvant aller jusqu’à l’altérer en agissant sur notre propre code génétique.
Biosenseur = organismes vivants, capables de détecter des phénomènes et qui formulent une réponse/ un signal à ces phénomènes.
1) Domaines d'application :
Les domaines d'application sont donc multiples et variés. Il existe actuellement 116 produits ou procédés, issus de la biologie de synthèse, commercialisés ou en voie de l'être.
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Domaine de la biomanufacture : La synthèse par un micro-organisme de la molécule 1,3-propandiol, précurseur du textile, permet la fabrication de vêtements, de moquettes...
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Domaine des biocarburants : La synthèse par un micro-organisme de la molécule d'isobutène sous forme de gaz permet d'obtenir du biodiesel (tel que le fuel). Les biocarburants ( ) sont assimilés à une source d’énergie renouvelable.
Cependant ces biocarburants bien qu'écologiques ont un coup de production trop élevé comparé aux carburants actuellement sur le marché.
Il existe également des études tournées vers un biocarburant (synthétisé par la bactérie Escherichia coli modifiée) destiné aux moteurs des fusées.
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Domaine médical :
- bioproduction de molécules par un organisme réduit tel qu'une levure, dans le cas de l'artémisinine (molécule antipaludéenne) ou de l'hydrocortisone (hormone humaine de substitution)
- production de biocapteurs bactériens (bactéries génétiquement modifiées permettant de diagnostiquer la présence d'arsenic ou d'explosif à l'intérieur de l'organisme)
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Domaine de la bioremédiation : correspond au traitement biologique des déchets dangereux
- synthèse de bactéries capables de détruire un autre organisme : utilisées en tant que pesticide (= organophosphate)
- développement de cellules souches bactériennes dégradants certains polluants
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Domaine de la recherche fondamentale : une équipe de chercheurs à Toulouse, au TWB, travaille sur la création d'activités enzymatiques, pour aboutir à l'évolution artificielle d'une enzyme, et à terme de créer des organismes qui n'existent pas dans la nature.
Biocarburant = Carburant liquide issu de la transformation des matières végétales produites par l'agriculture (betterave, blé, mais, colza, tournesol, pomme de terre…).
2) Exemple de l'application de l'artémisinine :
Nous allons étudier le cas particulier de la molécule d'artémisinine. C'est un médicament contre le paludisme, qui à l'heure actuelle, est l'exemple d'application de la biologie de synthèse le plus représentatif. C'est également une application en lien avec la cellule minimale même si celle-ci n'est pas encore réalisable en laboratoire. En effet les scientifiques ont utilisé ce qui se rapproche le plus d'une cellule minimale fonctionnelle à savoir un microorganisme, la levure de boulanger.
Le paludisme en deux mots :
La malaria, ou paludisme, a touché selon les estimations de 2015 de l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé), 212 millions de personnes. Elle fut responsable de 429 000 décès, dans les 91 pays touchés par cette maladie.
La malaria est transmise par des moustiques anophèles ( moustiques femelles infectées par des parasites ou plasmodiums responsables la maladie.) Il existe cinq espèces de plasmodiums, les deux plus dangereux étant le Plasmodium falciparium et le Plasmodium vivax.
Les symptômes de cette maladie infectieuse apparaissent après la piqûre de moustique, entre 9 et 14 jours. Il s'agit de fièvre, de tremblements et d'autres symptômes s'apparentant à un état grippal. Selon l'espèce de plasmodium, il peut y avoir une destruction des globules rouges ou, une obstruction de capillaires, alimentant en sang les organes vitaux et le cerveau.
La recherche d'un médicament contre le paludisme :
Il existe aujourd'hui un grand nombre de molécules actives contre la malaria mais, au fil du temps, les scientifiques se sont aperçus que les molécules étaient de moins en moins actives. En effet, les parasites sont devenus résistants à ses molécules, suite à des mutations génétiques. C'est le problème que posaient les monothérapies ( ). C'est la raison pour laquelle, en 2002, l'OMS a demandé aux chercheurs de trouver une molécule active contre la maladie, et à laquelle les parasites n'étaient pas encore résistants. Une autre condition a été ajoutée, celle de coupler obligatoirement la molécule avec deux autres, aussi actives contre les parasites pour former une trithérapie, toute monothérapie étant désormais proscrite. Ainsi, une molécule tue en grande partie les parasites présent dans l'organisme. Ensuite, s'il en reste certains, devenus résistants, la seconde molécule prend le relais. Enfin, si ce n'est pas suffisant la troisième finie de les achever.
L'artémisinine est donc une molécule antipaludéenne initialement produite par l'armoise annuelle ou Artemisiana annua. Ses vertus sont connues depuis des millénaires en Asie, où la plante était utilisée en décoctions, quand les habitants souffraient de fièvre. La production de cette plante s'est par la suite étendue à l'Afrique, où de nombreux pays sont victimes de la malaria. Les prix de vente du produit fluctuants, tout comme la production, ne permirent pas d'obtenir la quantité annuelle nécessaire, pour l'exploitation de la molécule.
Début du travail de recherche sur l'artémisinine :
Dans les années 2000, Jay Keasling et son équipe, de l'Université de Californie à Berkeley aux Etats-Unis, ont donc débuté un travail de recherche sur la synthèse par voie chimique de l'artémisinine. Cette approche n'a pas été concluante. En effet, aux vues du nombre d'étapes de synthèse trop importantes (une douzaine), ils obtinrent un coût de production trop élevé pour un rendement trop bas.
Ils ne se sont pas arrêtés à cet échec et se sont tournés vers une biomanufacture autre que la plante, ici une levure de boulanger ( ) : Saccharomyces cerevisiae. Il aura fallu environ 10 ans et 40 à 50 milliards de dollars pour aboutir en 2013 à un début de production sans bénéfices par Sanofi (un des plus grands groupes pharmaceutiques). La production initiale était de 60 tonnes d'artémisinine par an, elle est ensuite montée à 100 tonnes d'artémisinine.
Étapes de la création du bio-organisme destiné a produire de l'artémisinine :
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Trouver le schéma métabolique de l'armoise annuelle, soit, comprendre comment elle synthétise de l'artémisinine.
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Récupérer, à l'intérieur de la plante, les enzymes et les gènes qui codent pour ces enzymes nécessaires à la production d'artémisinine.
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Transplanter les gènes dans la levure de boulanger (Saccharomyces cerevisiae). Il s'agit, ici, de « découper » les gènes de l'armoise annuelle, et, de les insérer par transgenèse dans le génome de la levure.
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Adapter l'usage des codons à la levure, pour qu'elle exprime les gènes transplantés en quantité correcte.
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Optimiser la biologie de synthèse à des méthodes plus rapides, soit diminuer le nombre d'étapes nécessaires à la synthèse de l'artémisinine et, la rendre plus efficace. C'est à ce stade que les scientifiques ont eu recours à la méthode Top Down pour retirer des séquences de gènes non essentielles à la survie de la cellule et à la production de la molécule d'intérêt. Ainsi, la cellule "allégée" a pu produire plus efficacement la molécule. Les scientifiques ont réussi à faire produire à la levure, 30mg/L d'artémisinine, ce qui la rend potentiellement industrialisable.
Ce travail considérable aura représenté une quinzaine d'années, dont une dizaine de recherche fondamentale et cinq de développement artificiel.
Principe de la transgenèse :
Cette technique se base sur l'implantation d'un ou plusieurs gènes étrangers (transgènes) dans un organisme. Le mécanisme est le suivant, on va tout d'abord sélectionner, dans un organisme A, une cellule cible qui sera la cellule recevant le transgène. Dans le cas de l'artémisinine, la cellule recevant le transgène est Saccharomyces cerevisiae. On va ensuite choisir et isoler un ou plusieurs gènes d'intérêts dans un organisme B, ici l'armoise annuelle. Celui-ci va être implanté dans le génome de la cellule A et, afin d'être efficace, il va devoir s'exprimer. En effet, on va vérifier son aptitude à produire une molécule spécifique soit l'artémisinine. Cette implantation peut se faire de différentes façons, par projection d'ADN ou par transfert dans des protoplastes. La projection d'ADN se fait par un canon à particules, celui-ci va « pulvériser » des microparticules entourées d'ADN dans les cellules cibles. Au contraire, le transfert dans les protoplastes se fait grâce à un agent chimique ou par électroporation. Ce passage est possible car, les protoplastes étant des cellules, dont la paroi a été éliminée par des enzymes, les morceaux d'ADN peuvent facilement entrer dans celle-ci. L'objectif de cette méthode est de modifier un organisme, afin de lui faire produire de nouveaux éléments. Il devra faire cela, tout en maintenant sa capacité à se répliquer avec ce nouveau caractère, dans le génome.
Monothérapie = thérapie n'utilisant qu'une seule molécule active contre la maladie)
Jay Keasling (1964) : Professeur en ingénierie et bio-ingénierie à l'université de Berkeley en Californie. Il est aussi le directeur de laboratoire associé au laboratoire national Lawrence Berkeley. Jay Keasling est considéré comme un des plus grands spécialistes de la biologie de synthèse.
Molécule d'artémisinine
Armoise annuelle
Saccharomyces cerevisiae
Levure :Champignon unicellulaire capable de provoquer la fermentation des matières animales ou végétales. La plus connue est Saccharomyces cerevisiae, c'est elle qui fait lever la pate à pain d'où son nom de levure de boulanger).
Schéma du processus de transgenèse appliqué à la production d'artémisinine